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Urgences pénales

Ouest-France : Rennes / Justice par visioconférence : des problèmes et des questions

Angélique CLÉRET. Publié le 02/04/2019 à 17h55

Fréquemment utilisée devant la Chambre de l’Instruction pour les audiences de personnes détenues dans l’attente de leur procès, la visioconférence, système d’images et de son, n’est pas sans poser des difficultés, tout à la fois pratiques et juridiques.

Ils apparaissent sur écran, isolés dans une salle de prison. Parfois, leur avocat est à leurs côtés. Le plus souvent, celui-ci est dans la salle d’audience, où siègent les magistrats.

À la chambre d’instruction de Rennes, le recours à la visioconférence est fréquemment utilisé pour entendre des personnes détenues, qui demandent leur mise en liberté, dans l’attente de leur jugement ou à l’issue de leur condamnation pénale (1).

Le dispositif, conçu pour régler une partie des problèmes des escortes judiciaires, n’est pas sans poser des difficultés pratiques.

Des problèmes de réception

Quand l’image est correcte, c’est le son qui est médiocre. S’y ajoutent parfois les bruits de la prison et les appels dans le talkie-walkie du surveillant, qui viennent parasiter les réponses aux questions des juges.

D’autres jours, le son ne passe pas du tout. C’est ce qui s’est produit la semaine dernière, à Rennes. La personne condamnée à une peine de réclusion criminelle était bien visible, depuis la maison d’arrêt de Nantes. Mais impossible de l’entendre.

Les magistrats ont suggéré de lui fournir le téléphone portable d’un surveillant, le temps de l’examen du dossier. Compliqué. La greffière a proposé de laisser son contact pour permettre à la prison nantaise de rappeler. Pas si simple. « Je ne me voyais pas poursuivre l’audience par téléphone interposé, commente Christine Moreau, présidente de la Chambre de l’instruction. Nous avons pu poursuivre dans une salle de réunion équipée de la visioconférence. » Trois quarts d’heures de retard, dans une matinée bien chargée.

Les interrogatoires de mis en cause, par visioconférence, sont faits pour économiser les charges liées aux transferts de prisonniers. | OUEST FRANCE ARCHIVES / DAVID ADÉMAS (ILLUSTRATION 2010)

« Il faut être présent dans la salle d’audience »

Les audiences publiques du jeudi sont menées à un train d’enfer. Avec des dossiers de Nantes à Brest, dans le ressort gigantesque de la cour d’appel de Rennes. La présidente de la chambre voit dans le recours à la visioconférence « la possibilité pour les avocats de présenter, en plus des mémoires écrits qu’ils ont déposés, des observations orales en restant près de leur client détenu loin de Rennes » .

Les avocats ne partagent pas tous ce point de vue. « Je suis resté une ou deux fois à Brest, et j’ai plaidé depuis la maison d’arrêt. Je me suis dit : plus jamais, tranche Pierre Rustique, avocat au barreau de Brest. Et je demande à mes clients de refuser la visioconférence dès qu’ils le peuvent. Quand on pense qu’on a quelque chose à obtenir, il faut être présent dans la salle d’audience. »

« Droits de la défense entravés »

« Les uns après les autres, les textes de loi vont dans le sens du recours à la visioconférence et de l’impossibilité de la refuser, observe Maxime Tessier, avocat au barreau de Rennes et membre du Syndicat des avocats de France (Saf). Notre syndicat alerte contre l’installation de cages de fer et de verre sur les box des salles d’audience pénale. La comparution par le biais de la visioconférence, ce n’est pas mieux. » En cause : l’atteinte portée à la dignité et aux droits de la défense.

Selon Morgan Loret, avocat au barreau de Saint-Nazaire, ces droits sont entravés, « lorsque le dispositif dysfonctionne et que l’audience se tient quand même. Cela pose un vrai questionnement sur l’oralité des débats et sur l’absence de contradictoire. »  

Il est l’avocat qui plaidait, jeudi 28 mars, pour la remise en liberté de la personne détenue. Il avait fait le choix d’être présent à Rennes. Quelques jours plus tôt, il a formé un recours devant la Cour de cassation contre un arrêt de la Chambre de l’instruction. « Un procès-verbal de visioconférence relate que lors du débat, la cour d’appel pouvait entendre le mis en examen et ma consœur à la maison d’arrêt de Nantes, mais que l’inverse n’était pas vrai » , rapporte-t-il.

« Ni plus sévère ni plus rigide »

Les avocats seraient également tentés de plaider plus rapidement, devant des magistrats que les dysfonctionnements peuvent agacer. « Mais on ne peut pas savoir si une décision serait différente avec ou sans visio » , nuance tout de suite Maxime Tessier.

La présidente de la Chambre de l’instruction est catégorique : « Notre salle d’audience doit être libérée à 14 h, pour la chambre correctionnelle. Et nous sommes obligés de calibrer le rythme de nos audiences en fonction du nombre de recours dont nous sommes saisis. Mais nous prenons le temps qu’il faut pour les dossiers. Nous ne sommes ni plus sévère ni plus rigide, ou le contraire, suivant que la personne mise en cause accepte ou non la visioconférence. »  

Particulièrement fréquentes depuis trois semaines, les difficultés liées à la communication audiovisuelle devraient être réduites par un matériel revu ou quelques réglages à venir. C’est ce qu’espèrent magistrats comme avocats, faute de mieux.

(1) Les chambres de l’instruction ont remplacé les chambres de l’accusation, depuis la loi de 2000 sur la présomption d’innocence et les droits des victimes. Ces juridictions connaissent des affaires de liberté et du contentieux de la détention (demandes de mises en liberté pour les condamnés, ou appels des décisions des juges d’instruction et des juges des libertés et de la détention relatives au placement en détention provisoire ou à sa prolongation)